Voivod Target EarthVoivod existe depuis plus de 30 ans et demeure aujourd'hui encore, hélas, l'un des secrets les mieux gardés de l'histoire du rock. Musicalement à la croisée des chemins entre thrash, punk et rock progressif, sans jamais sonner autrement que comme du
Voivod, le groupe a toujours su cultiver sa différence : des riffs étranges, uniques, immédiatement reconnaissables, des paroles décrivant un mode futuriste, apocalyptique où guerres biologiques, paranoïa et théories du complot cohabitent, des visuels affreux et fascinants à la fois... La panoplie parfaite du groupe-culte, en somme ! Adulé par un noyau de fans et de musiciens,
Voivod n'aura pourtant jamais réussi à percer... Car voilà, ce groupe québécois n'a jamais eu de chance. En 1994, les problèmes de drogue du chanteur,
Denis Bellanger (surnommé
Snake), l'obligent à quitter le groupe alors en pleine ascension (petite ascension, mais ascension quand même, le groupe étant alors signé chez MCA et bénéficiant d'une exposition médiatique plus importante). La nouvelle incarnation du groupe, avec
Eric Forrest au chant et à la basse, relancera la machine, proposant une musique sans concessions, brutale, à la limite de l'indus. Mais nouveau coup du sort : en 1998, un grave accident de car brise ce nouvel essor :
Forrest est gravement blessé et se voit contraint de quitter le groupe. Il faudra attendre 5 ans avant de revoir un disque de
Voivod dans les bacs, l'album homonyme célébrant le retour du chanteur originel,
Denis Bellanger, et l'arrivée à la basse de
Jason Newsted, ex-
Metallica. La musique s'est simplifiée, plus efficace, mais toujours passionnante.
Hélas, le pire arrive. Le guitariste
Denis D'Amour, LE son de
Voivod meurt brutalement en 2005. Les autres membres du groupe semblent vouloir en rester là, décidés toutefois à faire des dernières démos de
Piggy (son nom voïvodien) deux albums qui concluront la discographie du groupe. L'histoire semble terminée...
Mais la passion est plus forte : n'ayant pas renoncer à donner des concerts, avec un nouveau guitariste troublant, tant son jeu est proche de celui de
Piggy, et
Jean-Yves Thériault (
Blacky), le bassiste qui avait quitté le groupe en 1992,
Voivod est prêt à composer à nouveau et
Target Earth est annoncé pour le début de l'année 2013.
Quid donc de ce
Target Earth ? La formation quasi-originelle du groupe revient sur ce qu'elle sait faire le mieux : derrière cette pochette signée, comme toujours, par le batteur
Michel Langevin (
Away), on retrouve cette musique indubitablement thrash, des riffs tranchants et étranges, des structures à tiroirs, des métriques bancales, la voix rageuse et déformée de
Snake... Nonobstant une production plus moderne, les mondes de
Killing Technology,
Dimension Hatröss et de
Nothingface sont à nouveau visités (des univers qui ne sont pas sans rappeler ceux du dessinateur
Philippe Druillet). L'énergie est toujours là (le groupe se permet même un petit hommage à
Motörhead sur "Kluskap O'Kom") et c'est un vrai plaisir d'entendre à nouveau la musique de ce très grand groupe, et à un tel niveau de qualité, surtout ! Peu de nouveauté pour qui est familier du "son
Voivod", même si on remarque, et c'est une première, un morceau entièrement chanté en français, "Corps Étranger".
Daniel Mongrain, alias
Chewy, est remarquable : non seulement il réussit à nous faire croire que
Piggy est toujours là, mais il imprime sa propre personnalité au travers d'un son plus gras, mais tout aussi virtuose et corrosif que celui de son prédécesseur. Les textes sont sombres, poisseux et glauques, mais toujours emprunts d'une distance, d'un second degré qui les empêchent de tomber dans le sordide.
Pas de révolution, donc, juste le bonheur d'écouter un très grand disque d'un très grand groupe, qui nous a manqué et qu'il serait d'ailleurs grand temps de réhabiliter à sa juste valeur : inestimable ! Chapeau bas et vivement la suite !