Peter Gabriel

Après deux ans d'absence (depuis son départ de Genesis), Peter Gabriel revient avec un superbe album, pas forcément "gabrielien", mais presque un exercice de style qui montre un artiste touchant à tout avec succès !

Le premier morceau, "Moribund The Burgermeister", semble la suite de The Lamb Lies Down On Broadway : inquiétant, avec un traitement sonore original, et un Gab' très théâtrale. Par la suite, il va nous montrer qu'il sait tout faire, du hard-rock ("Modern Love", "Slowburn") au blues ("Waiting For The Big One"), en passant par le jazz ("Excuse Me") et le symphonique ("Down The Dolce Vita"). Et de signer trois classiques, dont un hit : "Slolsbury Hill", "Humdrum", et le magnifique (et emphatique) "Here Comes The Flood", dont une version beaucoup plus dépouillée et encore plus émouvante, verra le jour quelques années plus tard... A noter aussi que, d'un point de vue strictement vocal, Gabriel est vraiment excellent, et souvent bien meilleur que sur les albums de Genesis !

Comme je le disais plus haut, ce disque est assez éloigné de ce que Peter Gabriel nous offrira plus tard, mais les neuf chansons sont très réussies, et c'est un disque que je réécoute toujours avec plaisir. Et aujourd'hui, je viens d'en découvrir le SACD (reçu ce matin), plus détaillé encore que le CD remastérisé (le tuba de Tony Levin était dans mon salon) !

Le deuxième album de Peter Gabriel, toujours éponyme, est nettement moins brillant que son prédecesseur...

On sent que le Gab' a envie d'innover, mais sait-il lui-même où il veut en venir ? Autant le premier album était clinquant, flatteur, autant celui-ci est aride, et malheureusement en manque d'inspiration...

Quelques titres, toutefois, laisse entrevoir ce que pourrait être le futur : "On The Air" et "D.I.Y." ont des relents new-wave (voire punk), "White Shadow", "Exposure" et "Perspective" sont aussi de superbes réussites (et on sent ici l'influence du producteur, un certain Robert Fripp), sans oublier le délicat "Mother Of Violence"... Mais voilà ! Il reste six morceaux assez inintéressants ("Home Sweet Home" pourrait être très beau sans cet affreux saxophone d'ascenseur), et qui plombent complètement ce disque, de loin le moins bon de sa discographie !

Gabriel veut évoluer, mais il a encore le derrière entre deux chaises. Il lui faudra attendre deux ans avant de trouver sa voie.

Deux ans plus tard, il nous revient avec un album sobrement intitulé... Peter Gabriel ! Ou pas intitulé du tout, d'ailleurs, comme les deux précédents !

La pochette surprend : un portrait de l'artiste en noir et blanc, déformé par ordinateur... La moitié de son visage, emportée par un mal étrange, a fondu (d'où le surnom de l'album : "Melt") ! Plutôt inquiétant...



Ce troisième disque (aussi appelé 3) est certainement son premier opus véritablement "gabrielien". Le moment où, enfin, la volonté d'expérimenter rejoint l'écriture de morceaux remarquables.

Première idée géniale : Gabriel avait écrit un morceau appelé "Intruder" et Phil Collins devait en être le batteur... Collins était en train de régler ses peaux, jouant avec la réverb', et créant une sorte de riff percussif. Gabriel, inspiré, décida de l'utiliser sur le morceau et même d'aller plus loin : il supprima toutes les cymbales de la batterie, ne laissant que les caisses et les toms !

Deuxième idée : Peter Gabriel, toujours très curieux, est en train de s'ouvrir aux musiques traditionnelles africaines, et souhaite incorporer ces influences à l'intérieur de sa propre musique...

A partir de ces deux axes, il va composer un album incroyable, totalement inédit, un foisonnement sonore unique, et qui n'a pas pris une ride depuis vingt-huit ans (comme en témoignent le remaster de 2002 et le SACD de 2003).

"Intruder" ouvre le bal : un texte inquiétant sur un tapis rythmique énorme, zébré de sonorités inconnus, de raclements métalliques... Puis vient "No Self-Control", qui repose sur l'utilisation du marimba. La chanson rampe jusqu'à exploser sur le break (énorme boulot abattu par Phil Collins). Une courte introduction conduit à l'un des morceaux les plus scotchants : "I Don't Remember" ! Tony Levin décoche un riff élastique au stick-bass : la chanson est un tube en puissance, les choeurs-borborygmes sont un régal, tout comme ces sonorités synthétiques sorties d'on ne sait où ! "And Through The Wire" est un morceau plus banal, doté toutefois d'un superbe break, peut-être le morceau de trop... Mais vite oublié car la deuxième face du disque, elle, est parfaite ! "Games Without Frontiers", tout d'abord, avec l'immense Kate Bush : une musique assez joviale et un texte sur la guerre, mais traitée sur le mode "cour de récré". "Not One Of Us" ensuite, qui peut rappeler "D.I.Y." et "I Don't Remember", ultra-puissant... Et ce "Lead A Normal Life" étrange, qui voit le retour du marimba de Morris Pert, et dont le texte, très court, est tout simplement bouleversant : "c'est joli, ici, quelle belle vue sur les arbres, vous mangez avec des cuillères ? On ne vous donne pas de couteaux ? On espère que vous regardez le vent souffler dans les arbres... On veut que vous meniez une vie normale"... Le non-dit est terrible, je trouve ! L'album se termine par l'un des chefs-d'oeuvre de Peter Gabriel : "Biko", l'hommage à Steven Biko, assassiné dans un commissariat sud-africain en 1977, et un superbe plaidoyer contre l'Apartheid, avec cette valeur universelle qui fait que ce texte est toujours d'actualité aujourd'hui... Musicalement, le riff est sur le même principe que celui d'"Intruder", donc énorme, implacable, hypnotique, et le morceau se déroule lentement vers la révolte finale (et en coda ces chants apaisés) : "you can blow out a candle, but you can't blow out a fire, once the flame begins to catch, the wind will blow it higher" ! Le coup de poing !

Comme je le disais au début, ce disque n'a pas vieilli ! Il est même d'une surprenante modernité : le mixage, le traitement sonore, les arrangements, tout fait de ce troisième album un disque hors du temps que l'on écoutera certainement avec le même plaisir dans trente ans... Et quelle brochette de musiciens : Kate Bush, Robert Fripp, Jerry Marotta, John Giblin (c'est bien lui qui tient la basse, et non Tony Levin), Morris Pert et le fabuleux (et tellement sous-estimé) David Rhodes à la guitare (précis comme la main d'un chirurgien, celui-là, et une palette sonore pas possible) !

Peter Gabriel venait enfin de publier une oeuvre à la hauteur de son talent ! Et ce n'était qu'un début !