David Bowie Station To Station (1976)
Comme je le disais dans le message précédent, à partir de 1975,
Bowie devient accroc à la cocaïne... En 1976, son état empire (il affirme d'ailleurs de pas se souvenir de cette année), mais paradoxalement, il entame une nouvelle période de créativité qui semble sans limite !
On commence donc avec ce
Station To Station, que j'ai découvert il y a peu, mais qui a tourné au point que je le connais désormais par cœur, paroles comprises...
Six morceaux seulement, mais aucun point faible ! On commence avec le très long "Station To Station" et son intro instrumentale ferroviaire et groovy de trois minutes. La première évidence qui saute aux oreilles, c'est que
Bowie est à nouveau très en voix, mais surtout que cette voix a changé, plus puissante, plus variée encore et plus chaude, même si, étrangement, l'album est glacial... La "plastic soul" de
Young Americans est toujours présente, mais cette fois-ci, elle ne rappelle plus
Marvin Gaye :
Bowie l'a digérée et la recrache dans une esthétique très personnelle... Et surtout, on se rend compte que ce son nouveau arrive à point nommé dans une musique européenne en pleine mutation ! Les prémisses de la future new-wave sont là ! Un morceau que ne renieraient pas Talking Heads ("TVC15"), deux tubes funky ("Golden Years", "Stay"), deux ballades genre "crooner" à tomber par terre ("Word On A Wing", "Wild Is The Wind"), en 38 minutes, la messe est dite ! L'album est tout simplement d'une redoutable perfection !
Un dernier mot à propos de la pochette : elle est tirée du film
The Man Who Fell To Earth ("L'Homme qui venait d'ailleurs") de
Nicholas Roeg, nanar absolu du niveau de
Tommy de
Ken Russell, et dans lequel
David joue le rôle d'un extraterrestre.
Un an plus tard,
David Bowie fait un pas de géant...
David Bowie Low (1977) [
]²
Cet album est probablement mon préféré de l'artiste... Il constitue le premier volet de ce que l'on appellera plus tard la "trilogie berlinoise" (alors qu'il a été enregistré en France, au château d'Hérouville).
La pochette est à nouveau tirée du film de
Roeg... Incroyable qu'un film aussi mauvais ait pu produire deux pochettes aussi belles (surtout celle-là) ! Cette pochette est d'ailleurs un jeu de mot :
Bowie de profil et le titre
Low = low profile (profil bas)...
En devenant un CD, l'album a perdu sa particularité, à savoir sa division en deux faces vraiment distinctes...
La face 1, après un court intrumental aux sonorités synthétiques novatrices (eh oui, c'est
Brian Eno qui produit et joue du clavier), enchaîne sur une série de "chansons" très courtes et très étranges : la première, "Breaking Glass", se contente d'un couplet et d'un refrain (enfin, vu qu'il n'est pas répété, peut-on l'appeler un refrain ?), et l'on se dit que l'on n'a jamais entendu cela ailleurs... Des sonorités et des rythmiques trafiquées, concassées, simplifiées, c'est bien simple, toute la musique post-punk anglaise et allemande semble découler de ces cinq chansons ! Et puis il y a ce "Always Crashing In The Same Car", sorte de ballade en apesanteur, qui à chaque écoute, file le frisson...
Et tout content, on passe à la face 2 ! Et on se demande s'il s'agit bien du même disque !
A l'exception de quelques vocalises étranges, cette deuxième partie est constituée de cinq morceaux entièrement instrumentaux. Si le premier nous revoie à la face 1, la suite est une toute autre histoire : est-ce de la Kosmische Musik ? Du rock progressif ? Autre chose ? Oui, c'est plutôt ça : "autre chose"... Des morceaux sobres et sombres, hantés, de longues plages synthétiques toujours tendues, jamais barbantes, et d'une très grande beauté ("Warszawa", "Subterraneans") !
Bref, un disque unique dont la modernité et la pertinence méritent d'être (re)découvertes aujourd'hui !
A noter que le compositeur
Philip Glass a rendu hommage à cet album dans
Low Symphony : "Warszawa", "Subterraneans" et l'inédit "Some Are" sont cette fois traités à la sauce orchestrale et le résultat est une belle réussite (incompréhensible que "Some Are" ait été écarté de l'album, tant il est beau ; on ne le trouve plus que sur le remaster de 1990, autant dire qu'on ne le trouve plus du tout).
Autre anecdote :
Low était l'influence principale et avouée de
Trent Reznor au moment où il composait son chef-d’œuvre,
The Downward Spiral ! Et cela s'entend (réécoutez "A Warm Place") !
David Bowie "Heroes" (1977)
Deuxième volet de la fameuse "trilogie berlinoise",
"Heroes" (oui, avec des guillemets) est en fait le seul à avoir été enregistré à Berlin.
Ce disque fait partie des très grands classiques de
Bowie. Globalement bâti comme
Low, une partie "chanson", une autre instrumentale,
"Heroes" présente tout de même quelques différences. La principale est que cette fois, les morceaux chantés présentent des structures moins... déstructurées.
A noter qu'aux côtés de
Brian Eno, on trouve son grand ami
Robert Fripp (
King Crimson, est-il utile de le préciser?), en très grande forme (quel retour en force) !
L'album débute par cinq morceaux entre rock et new-wave, dont on retiendra le splendide ""Heroes"" et le pesant "Sons Of The Silent Age". La voix se fait aussi moins enjôleuse, plus sauvage !
Comme
Low, donc, la deuxième face est (quasi-)instrumentale. Des pièces sont toutes aussi hypnotiques, dépouillées et tendues. On note l'utilisation d'instruments supplémentaires, joués par
Bowie lui-même (on l'oublie souvent, mais c'est un musicien plus qu'honorable) : le koto, tout d'abord (instrument japonais qui rappelle la harpe) et le saxophone (son jeu torturé sur "Moss Garden" est stupéfiant).
En une petite année,
Bowie vient d'asséner à la scène rock en pleine mutation deux perles incontournables qui ne tomberont pas dans l'oreille de sourds !
David Bowie Stage (1978)
A sa sortie, ce disque ne fut pas vraiment bien accueilli... Il faut dire que l'attente était fébrile et que les erreurs furent malheureusement multipliées : difficile de croire que l'on avait affaire à un live authentique, tant le son était propret et le public absent ; de plus, quelle drôle d'idée d'avoir remonter la set-list dans l'ordre chronologique, avec une face entière dédiée aux instrumentaux des deux derniers albums studio !
Heureusement,
Stage a été depuis réédité (en 2006), avec le concert dans son intégrité et son intégralité.
Eno et
Fripp ne sont pas de la partie, mais à la place, on retrouve entre autres un certain
Adrian Belew (eh oui, le binôme de
Fripp dans la future incarnation de
King Crimson), ainsi que
Roger Powell, le claviériste-sorcier de l'
Utopia de
Todd Rundgren ! Et bien sûr, toujours cette section rythmique infernale qui le suit depuis 1974 ! Le répertoire est axé sur
Station To Station/Low/"Heroes", avec tout de même une longue incursion dans
Ziggy Stardust (un choix curieux et pas forcément pertinent, d'ailleurs). Et il faut reconnaître que les morceaux récents passent très bien l'épreuve de la scène, même les instrumentaux
ambient de Low et "Heroes" ("Warszawa", avec l'ajout du violon électrique, est à mourir) !
A ceux qui sont équipés pour le 5.1,
Stage existe aussi en DVD-A et c'est un must ! Le mix est d'une rare intelligence, faisant un bel usage des enceintes arrières (pas que pour le public, quoi) !
David Bowie Lodger (1979)
Dernière partie de la trilogie et enregistré avec le groupe qui l'accompagnait sur
Stage,
Lodger est souvent précédé d'une très mauvaise réputation... Quelle idée !
Très différent des deux albums précédents, on peut se demander pourquoi il leur est associé... A part la présence de
Brian Eno, toujours aux claviers et aux manettes, l'esthétique est tout de même très différente !
Toujours aux aguets,
Bowie précède légèrement la mode à venir, et la transcende avec goût. Aucun instrumental, cette fois, que des chansons assez efficaces, mais extrêmement bien arrangées et souvent novatrices : difficile de ne pas penser au
Peter Gabriel post-1980 ou aux
Talking Heads de
Remain In Light en écoutant "African Night Flight" ou "Yassassin (Long Live)" ! On retiendra aussi les soli dévastateurs d'
Adrian Belew !
Bref, sous-estimé, mais
a posteriori sans doute essentiel !
David Bowie Scary Monsters (And Super Creeps) (1980)
Scary Monsters (And Super Creeps) est souvent considéré (à tort car il y en aura d'autres) comme le dernier chef-d’œuvre de
David Bowie.
En observant bien le dos de la pochette du disque, on aperçoit les couvertures de
Low et de
"Heroes"... Et en écoutant la musique, on se demande si l'on a n'a pas affaire au véritable troisième chapitre de la trilogie berlinoise.
Eno est parti, mais
Robert Fripp est de retour et il n'est pas content !
La moindre de ses interventions est tout simplement phénoménale ! Mais cela ne suffit pas pour faire un bon disque (quoique...), et cette fois encore, on peut dire que
Bowie s'est surpassé ! Les classiques se succèdent, c'est infernal : entre les tueries pop-funk que sont "Ashes To Ashes" et "Fashion", les morceaux agressifs ("It's No Game, pt.1", "Scary Monsters (And Super Creeps)", et les fausses ballades, aucun répit !
David Bowie est au sommet de son art ! Quelle façon remarquable d'entamer la nouvelle décennie, que de promesses et de belles choses en perspectives !
Le disque existe en SACD, juste en stéréo, mais magnifique question fidélité !