Orchestre National de Jazz Europa ParisA l’annonce de la nomination d’
Olivier Benoit à la tête du nouvel
Orchestre National de Jazz, les critiques avaient fusé : deux vidéos postées sur Youtube, une montrant dix minutes de
sound painting abrupt, l’autre un quart d’heure de guitare bruitiste non moins austère, avaient suffi à cataloguer le musicien dans la catégorie "c’est pas du jazz, ça, mon bon monsieur !". Grande question, d’ailleurs : qu’est-ce que le jazz ?
Armstrong ?
Duke,
Bird,
Miles ?
Coltrane, le free des lofts new-yorkais ? Le
M-Base,
Tim Berne,
John Zorn ? Vaste problème, qui n’en est probablement pas un, d’ailleurs… Le jazz, c’est tout ça et ce qui est à venir ! Et justement, en France, le futur de la musique improvisée, du jazz de recherche, est certainement entre les mains de ces collectifs que l’on retrouve aux quatre coins du pays, tous les
CoAx,
Grolektif,
1Name4ACrew,
Circum…
Circum dont est issu
Olivier Benoit, justement. Car ce que les Cassandre avaient oublié, volontairement ou non, c’est qu'au-delà du défricheur expert en dynamite que l'on voit sur ces vidéos,
Benoit était aussi le chef d’un fabuleux big-band, le
Circum Grand Orchestra (on pourra aussi écouter ses disques avec le quartet
Happy House ou son implication dans le dernier album en date de
Jacques Mahieux) et que sa capacité à diriger un grand ensemble n'était plus à prouver. Bref, pour qui connaissait un peu l’oiseau, point d’inquiétude, le nouvel
ONJ allait être le reflet de ce qui se passe "here and now" !
Europa Paris arrive donc dans les bacs en cette fin de mois de mai. Une dizaine de musiciens, certains déjà bien connus (
Bruno Chevillon,
Éric Échampard), d’autres dont on entend de plus en plus parler (
Théo Ceccaldi,
Alexandra Grimal), et un gigantesque double-album , 90 minutes divisées en six parties, de 4 à 45 minutes. En 2013, l’album
Feldspath, collision entre
La Pieuvre et le
Circum Grand Orchestra nous présentait une musique dont
Europa Paris semble être en quelque sorte une extension. On retrouve ainsi ces orchestrations foisonnantes, ces ostinatos hypnotiques et cette rythmique infernale, à mi-chemin entre le rouleau-compresseur zeuhl et les polyrythmies "
M-Base". Un large espace est laissé à l’improvisation, permettant à chacun des protagonistes de s’exprimer, en douceur ou avec furie, propulsé par le duo infernal
Chevillon/
Échampard. A noter d’ailleurs que parfois, ce qui semble improvisé ne l’est pas, les frontières entre formes strictes et liberté totale semblant régulièrement s’estomper. La musique est riche, complexe, luxuriante, et demandera des heures d’écoute et de réécoute, sur disque et en concert afin d'être perçue dans tous ses détails. Une chose est toutefois certaine : en quelques mois,
Olivier Benoit a su créer un son de groupe, une vraie personnalité qui forcément s’affinera dans les années à venir et la musique proposée, loin du chaos annoncé, groove et révèle un grand talent d’écriture, s’inscrivant à la fois dans l’histoire du jazz et des musiques européennes. Une énergie folle, des musiciens qui ont des choses à raconter, des passages qui vous caressent, d’autres qui vous emportent dans un terrible maelstrom, tout concourt à faire de
Europa Paris à la fois un très grand projet, un très grand disque, et un groupe qui devrait faire date. Le CD est long, mais au bout de ces 90 minutes intenses, on n'a qu'une envie : le réécouter. Un très grand bravo à
Olivier Benoit et à son équipe pour avoir su braver l’adversité et proposer une musique vivante à l’image de ce qui se crée aujourd’hui sur les scènes nationales et régionales. Chapeau bas !