Yes Fly From HereLes changements de personnel étaient presque devenus une marque de fabrique chez
Yes, le groupe n’ayant que très rarement réussi à maintenir un line-up stable plus de deux albums de suite. On peut même dire que claviériste était devenu un poste à haut risque ! A tel point que pour
Magnification, dernier album en date (2001),
Yes avait décidé de s’en passer, le remplaçant très avantageusement par un orchestre symphonique. Hélas, la formule ne fut que temporaire et dès 2003,
Rick Wakeman, et son jeu il faut bien le dire complètement dépassé, était de retour… pour être bientôt remplacé par son propre fils,
Oliver, qui dans ses meilleurs moments rappelle son père dans les années 70 et dans ses pires… son père depuis les années 80 !
Mais c’est surtout l’annonce du départ forcé de
Jon Anderson (viré pour raisons de santé, la classe) qui sembla porter un coup fatal à
Yes, surtout après l'annonce de son remplacement par un imitateur,
Benoît David ayant effectivement fait partie d’un groupe de reprise de
Yes ! Des clones pour remplacer les originaux, voilà qui sentait le sapin ! La tournée qui s’ensuivit fut pourtant bien accueillie…
Mais voilà, boosté par le succès de ces concerts,
Squire & co décidèrent de poursuivre l’aventure et d’enregistrer un nouvel album studio. Chronique d’une mort annoncée… La défection d’
Oliver Wakeman, et l’arrivée des ex-
Buggles, ex-
Yes Geoff Downes (claviers) et
Trevor Horn (production) raviva pourtant l’attention des fans, qui se souvenaient sans doute de l’excellent
Drama, enregistré par ce line-up en 1980.
Et dix ans après le superbe
Magnification, contre toute attente, le nouveau
Yes est dans les bacs… Et il est excellent ! Construit comme un vinyl, avec ses deux faces bien différenciées,
Fly From Here commence par une longue suite, la plus longue enregistrée par le groupe à ce jour. A la première écoute, on se dit qu’ils ne se sont pas foulés, tant les sept parties du morceau semblent collées les unes aux autres sans véritable logique. Mais les écoutes suivantes vont pourtant en révéler la substance et la structure, avec des ponts d’un mouvement à l’autre, des échos nous rappelant que oui, "Fly From Here" est bien un seul morceau. Après une introduction balayant les différents thèmes qui seront bientôt développés, le fan de
Yes retrouve ses marques : des mélodies radieuses, des placements rythmiques ingénieux comme eux seuls savent les faire, des harmonies vocales très riches, des accélérations jouissives ("We Can Fly", "Madman At The Screens"), bref, le groupe est de retour ! "Sad Night At The Airfield", émouvante ballade, laisse même entrevoir au cours d’un fantastique solo de pedal-steel des horizons flydiens inhabituels ! Après un court instrumental sautillant et bancal, mélange de binaire et de ternaire, de 4/4 et de 7/4, la suite se clôt sur la reprise jouissive (et particulièrement emphatique) de "We Can Fly", qui laisse l’auditeur soufflé et heureux d’avoir retrouvé
Yes à un tel niveau !
Après une telle déflagration, on se dit que les cinq morceaux courts de la "deuxième face" auront sans doute bien du mal à tenir la route… Eh bien non ! La qualité va rester la même jusqu’au bout ! "The Man You Always Wanted Me To Be", chantée par
Chris Squire, est sans doute ce qui se rapproche le plus d’un rock AOR, ce son américanisé qu’il affectionne tant. Une jolie mélodie, une façon unique de placer sa voix (de petites variations rythmiques qui portent la chanson), et au final… un tube ! "Life On A Film Set" est étonnant : en cinq petites minutes, dans un mélange acoustique/électrique, on passe d’une petite ritournelle mignonne à un prog symphonique puissant grâce à un crescendo implacable. Une très grande réussite. "Hour Of Need" est une ballade acoustique très simple, très belle, suivie, comme à l’époque de
Fragile, d’un court instrumental à la guitare acoustique. L’album se termine par ce qui est peut-être le meilleur morceau de l’album : "Into The Storm", étonnant mélange d’acoustique et d’électrique, épique à souhait, avec des mélodies lumineuses, géniales, un
Chris Squire dans tous ses états, et un chorus de guitare final comme
Steve Howe n’en avait plus joué depuis des lustres ! Un mélange entre "Roundabout", "Siberian Khatru" et "Tempus Fugit". Et histoire de parachever la cohésion du disque, on peut entendre dans les dernières secondes la reprise du refrain de "We Can Fly". Brillant !
A noter que l’édition japonaise propose en bonus le morceau "Hour Of Need" en version longue : une intro et une outro très prog, dominées par une guitare très volubile. La version normale fonctionne mieux au sein de l’album, mais il est intéressant de connaître le morceau tel que
Howe le souhaitait.
Et
Benoît David, au fait ? Il est parfait ! D’une part, sa voix se mélange parfaitement à celles de ses collègues, et surtout, il réussit à être dans le registre « yessien » sans pour autant singer
Jon Anderson. Les autres ne sont pas en reste, semblant partager un vrai plaisir de jouer ensemble. Cela fait d’ailleurs plaisir d'entendre un album de
Yes, disons… "simple", c’est-à-dire l’impression d’écouter un groupe de cinq personnes, sans fioritures (la production est pourtant fantastique).
Yes a retrouvé sa fraîcheur !
Quelques petits bémols, toutefois : on peut se poser quelques questions sur l’avenir de cette formation . Trois des morceaux ("We Can Fly", "Sad Night At The Airfield" et "Life On A Film Set") commencent à dater puisqu’ils ont été enregistrés par les
Buggles il y a plus de 30 ans. De même, à part le dernier morceau, créé collectivement, tous les autres sont des œuvres personnelles très marquées par leurs géniteurs : "The Man You Always Wanted Me To Be" est du
Squire pur jus (on note d’ailleurs dans les crédits que des musiciens extérieurs ont participé à cette chanson), "Hour Of Need", "Bumpy Ride" et "Solitaire" sont des compositions de
Steve Howe (sa voix est d’ailleurs mixée très en avant sur la première)… Bref,
Fly From Here est loin d’être une œuvre collective ! Autre détail qui met mal à l’aise, tant il est lourd de sens, les photos du livret : une de chacun des instrumentistes, une du groupe, et enfin, en plus petit, une du nouveau chanteur (et qui correspond bien au peu de liberté qui lui a été allouée). Etant données les qualités de sa voix, il serait pourtant judicieux de lui laisser plus d’espace…
Mais ne boudons pas notre plaisir : ce nouvel album est inespéré, tant
Yes, suite au départ de son emblématique chanteur, semblait avoir un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane ! Vivement la suite !